Les lotus d’or

Publié le par Doc Bird

« Les lotus d’or » de Jane Yang, éditions Charleston

J’ai reçu ce roman dans le cadre du Masse critique Littératures organisé par Babelio, que je remercie, ainsi que les éditions Charleston, que j’ai découvert à cette occasion. J’avais demandé ce titre, attirée par la couverture flamboyante et le résumé.

L’histoire se déroule en Chine au XIXème siècle, et présente le destin de deux femmes depuis leur enfance.

Dans une société hiérarchisée par beaucoup de règles et de traditions, Petite Fleur apprend depuis toute petite à bander ses pieds pour qu’ils deviennent des lotus d’or, de petits pieds lui permettant plus tard de pouvoir espérer un bon mariage, et donc une situation correcte.

Mais les aléas de la vie font que sa mère est obligée de la vendre pour pouvoir assurer leur survie et l’éducation de son frère. Elle va devenir muizai, une esclave au service d’une famille riche, les Fong. Sa mère lui fait promettre de toujours bander ses pieds, qui sont sa seule chance de pouvoir s’en sortir, d’obéir et d’être sage. Petite Fleur se retrouve attachée au service de Linjing, une petite fille gâtée qui est promise à un bon mariage, et qui impose à Petite Fleur ses caprices et ses désirs.

Petite Fleur va peu à peu voir ses rêves se déliter face à la dure réalité de sa condition, sa maîtresse étant égoïste, lui imposant des ordres douloureux comme celui d’arrêter de bander ses pieds, car elle doit elle-même garder ses pieds naturels, pour plaire à son futur mari, qui est contre les lotus d’or, et avance dans la modernité.

Petite Fleur trouve refuge dans sa passion pour la broderie, art dans lequel elle excelle, et qui rend jalouse Linjing. Elle a des idées novatrices qui rendent ses motifs et ses couleurs vivants, et la broderie est ce qui lui permet d’échapper à la dure réalité quotidienne, et de se sentir vivante et libre.

Linjing a peur de son futur mariage, notamment de sa belle-mère et de ses belles-sœurs, car elle sent que ces dernières croient en la vertu des lotus d’or, et pourraient lui mener la vie dure. Elle comprend rapidement que Petite Fleur, avec ses idées et son audace, pourrait être sa seule alliée sur place. Elle va alors tout faire pour que celle-ci la suive, sans écouter les envies de cette dernière…

Je n’en dis pas plus sur ce roman qui est une vraie fresque familiale, qui permet de découvrir le monde de la Chine à la fin du XIXème siècle, quand le pays commence à s’ouvrir à l’Occident, mais où les traditions sont toujours très fortes dans la société.

Seuls les hommes ont le droit d’aller et de venir, de faire des choix, alors que les femmes doivent rapidement trouver un mari convenable pouvant assurer leur subsistance, devant vivre une vie d’obéissance au mari et à la famille de celui-ci. Et dans une société où l’homme peut avoir plusieurs épouses, les rivalités et coups bas peuvent être féroces pour détrôner la première épouse, et donner un fils à la famille. Les femmes ne s’entraident pas, et la belle-mère peut régner sur ce petit monde en personne acariâtre, imposant sa douloureuse domination sur toutes les femmes de la maison de son fils. Les lotus d’or ont une valeur de vertu, et sont très recherchés, au prix de grandes souffrances physiques, et ces petits pieds contribuent à l’enfermement des femmes chez elles, car celles-ci ne peuvent faire que de petits pas et fatiguent vite. Les femmes n'ont pour seuls choix que le mariage, la vie en couvent, ou dans une communauté de sœurs chastes qui doivent travailler sur pour assurer leur subsistance. La notion de bonheur individuel n’existe pas, et les valeurs de la famille sont les plus importantes.  

Mais la Chine commence un peu à s’ouvrir au monde, notamment les britanniques, et la société commence une lente évolution. Cela fait que ce roman est aussi une vraie fresque féministe, montrant les inégalités entre hommes et femmes, et le combat de certaines femmes pour faire évoluer leur condition. Petite Fleur fait partie de ces femmes d’exception. Elle va devoir se battre face à un destin tout tracé d’esclave, privée de liberté, elle va devoir faire face à de nombreux coups du sort très douloureux, notamment à cause de la jalousie et de l’égoïsme de Linjing, et faire preuve de créativité et de résilience.

Les chapitres alternent d’ailleurs entre leurs deux voix, permettant au lecteur de s’immerger dans leur intériorité et leurs réflexions. Même si j’ai préféré le courage de Petite Fleur, souffert avec elle des revirements du destin qui semblent contrecarrer tous ses projets, j’ai quand même ressenti de l’empathie et de la pitié pour Linjing à certains moments, celle-ci cédant toujours à la peur, même si le plus souvent elle m’agaçait prodigieusement avec ses réflexes de petite-fille gâtée.

Chaque partie du roman semble être une étape douloureuse de plus pour nos deux héroïnes dont le destin est inextricablement lié. Seule la toute dernière partie m’a parue un peu trop romantique et à l’eau de rose, je l’ai hélas trouvée assez peu réaliste et plutôt hors-sol, même si cela permet à Petite Fleur de devenir une figure de résistance qui montre une ouverture possible.

Ce roman m’a permis de découvrir un pays et une société que je connaissais peu, notamment la tradition des pieds bandés, qui m’a horrifiée, car j’ai cherché sur Internet de plus amples informations, les photos que j’ai vues m’ont révulsée : c'est un véritable outil de domination masculine au prix d’une immense souffrance, avec les os cassés, et les gangrènes possibles. J’ai aussi découvert de l’intérieur le fonctionnement des familles, et la mise en rivalité des femmes pour toujours mieux les maintenir dans leur condition. Et ce roman a aussi attisé ma curiosité sur la broderie et les motifs de décoration orientaux.

Un titre qui allait vers le coup cœur, mais la fin m’a parue trop peu réaliste, même si elle permet d’avoir un peu d’espoir.

Les lotus d’or
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F
Ah oui, tu as découvert l'horreur des pieds bandés. Les photos sont révulsantes en effet, et avant que tu n'en parles, j'allais dire que l'appellation "lotus d'or" pour les pieds bandés était une image bien trompeuse de la réalité. Et là encore, on voit que ce sont les femmes qui contribuent à perpétuer cette horrible tradition... En tout cas, ce roman pourrait bien me plaire pour son lieu d'action, son contexte historique et ses thématiques. Dommage pour la fin, mais je suis prévenue, et ça n'a pas l'air de trop peser sur l'ensemble finalement.
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D
Oui, je connaissais mais sans vraiment m'être penchée sur le sujet. Et c'est vraiment horrible, d'autant plus que les femmes perpétuaient cette tradition pour que leur fille ait un meilleur avenir avec un bon mariage, d'où peut-être l'appellation de lotus d'or.<br /> Bonne lecture si tu te laisses tenter.
T
Le "pitch" des deux enfants / jeunes femmes aux destins liés m'a fait songer à l'intrigue secondaire du premier tome de la série BD Les passagers du vent de François Bourgeon (paru en 1979 sous le titre La fille sous la dunette)...<br /> (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
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D
Je ne sais plus si j'ai lu cette série, il me semble que non, mais le nom me dit quelque chose. Les récits littéraires se croisent parfois.
M
C'est dommage que tu aies moins aimé la fin...il me plairait ce roman et je vais aller voir de plus près ces éditions Charleston que je ne connaissais pas du tout moi non plus. Par contre je savais que cette tradition horrible des pieds bandés avait eu du mal à être abandonnée...
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D
Même si la dernière partie m'a paru un peu trop fleur bleue, le reste de l'histoire est vraiment passionnant. Pour les pieds bandés, je connaissais cette tradition qui est restée longtemps dans la culture chinoise, mais je n'avais pas vraiment réalisé l'horreur et la douleur de cette mutilation.
A
Dommage pour la fin qui tranche avec le ton du roman mais ce dernier semble à lire d'autant que je connais peu ce cadre historique. La manière dont certaines femmes participent au malheur d'autres femmes doit être révoltante tout comme ce qu'on impose à Petite fleur...
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D
C'est en effet un livre qui prend au cœur quand on voit ce que les femmes subissent et surtout Petite Fleur. En dehors de mon bémol sur la fin, ce roman est vraiment passionnant et permet de découvrir une période historique et un pays.